Les séries longues contrastent parfois avec l’actualité. En France, la grève est une forme de protestation en déclin sur le temps long. Ce n’est pas simple à mesurer car les pouvoirs publics ont changé trois fois de manière de compter depuis 1975, mais le mouvement est assez net.
De 1975 à 1995, le ministère du Travail prend en compte l’ensemble des "journées non travaillées", tous secteurs confondus. En 20 ans, elles ont été divisées par 4,5, de 3,5 millions à 800 000. Ensuite, de 1996 à 2004, le secteur des transports n’est plus comptabilisé (la fin 1995 avait était marquée par des grèves massives). On passe alors de 360 000 à 193 000 journées de grève. Enfin, à partir de 2005, le ministère rapporte les journées de grève, tous secteurs confondus (pour les entreprises de plus de dix salariés), au nombre de salariés. Le taux diminue de 160 journées pour 1000 salariés en 2005 à 100-130 à la fin des années 2010, il augmente fortement à plus de 300 pour 1000 en 2010 (année de réforme des retraites) puis redescend. Depuis 2011, il est assez stable, autour de 80. Les données 2019 vont faire apparaître une hausse très nette : on risque à nouveau de dépasser les 300 journées pour 1000 salariés.
Globalement, le recours à la grève diminue. Il y a plusieurs explications à cela.
D’abord, le syndicalisme est en net recul. Aujourd’hui, un salarié sur dix est affilié à un syndicat en moyenne et seulement un sur douze dans le privé. Les transformations du travail jouent : il est plus facile de s’organiser dans des grands établissements industriels que dans les services, plus émiettés. Le déclin industriel a un impact sur le nombre de jours de grève. La montée et le maintien du chômage à un niveau élevé rendent les choses plus difficiles pour les représentants des salariés : à ceux qui revendiquent, notamment dans le privé, on explique facilement que d’autres peuvent prendre leur place. Dans les nouveaux emplois payés à la tâche (livreurs, chauffeurs, etc.), la moindre contestation entraîne l’arrêt de toute commande. L’organisation en syndicats est très complexe. Enfin, il n’est pas facile pour les salariés de supporter le coût financier d’une grève dans un contexte de tensions sur les revenus. Perdre un mois de salaire n’est pas donné à tout le monde, notamment pour ceux qui n’ont pas d’épargne.
Est-ce à dire que les grèves sont vouées à disparaître ?
On n’en est pas là. Depuis une dizaine d’années, leur niveau est plutôt stable. Les réseaux sociaux rendent l’organisation de mouvements plus faciles. Le travail en flux tendu (on produit en permanence, les stocks sont très réduits) fait que l’employeur paie cher tout arrêt de travail : la grève a un impact plus fort. C’est particulièrement vrai dans une partie des nouveaux services où l’idée même de stock n’existe pas ou quasiment pas : une course Uber non réalisée ou un repas dans la restauration rapide non consommé sont rarement reportés, ils sont perdus.
Quand l’enjeu est fort pour les salariés, les mobilisations le sont aussi, comme on l’a vu en 2010 et 2019 au sujet des retraites.
La contestation peut d’ailleurs s’exprimer autrement que par la grève, par des pétitions, des campagnes d’information sur des réseaux sociaux plus accessibles que les grands médias, ainsi que par la manifestation, comme l’a montré le mouvement des "gilets jaunes". De nouvelles formes d’organisations émergent, plus éphémères pour l’instant, mais pas forcément moins puissantes pour faire entendre les revendications.
COMPAS - Analyse complète - 2019-12-19
De 1975 à 1995, le ministère du Travail prend en compte l’ensemble des "journées non travaillées", tous secteurs confondus. En 20 ans, elles ont été divisées par 4,5, de 3,5 millions à 800 000. Ensuite, de 1996 à 2004, le secteur des transports n’est plus comptabilisé (la fin 1995 avait était marquée par des grèves massives). On passe alors de 360 000 à 193 000 journées de grève. Enfin, à partir de 2005, le ministère rapporte les journées de grève, tous secteurs confondus (pour les entreprises de plus de dix salariés), au nombre de salariés. Le taux diminue de 160 journées pour 1000 salariés en 2005 à 100-130 à la fin des années 2010, il augmente fortement à plus de 300 pour 1000 en 2010 (année de réforme des retraites) puis redescend. Depuis 2011, il est assez stable, autour de 80. Les données 2019 vont faire apparaître une hausse très nette : on risque à nouveau de dépasser les 300 journées pour 1000 salariés.
Globalement, le recours à la grève diminue. Il y a plusieurs explications à cela.
D’abord, le syndicalisme est en net recul. Aujourd’hui, un salarié sur dix est affilié à un syndicat en moyenne et seulement un sur douze dans le privé. Les transformations du travail jouent : il est plus facile de s’organiser dans des grands établissements industriels que dans les services, plus émiettés. Le déclin industriel a un impact sur le nombre de jours de grève. La montée et le maintien du chômage à un niveau élevé rendent les choses plus difficiles pour les représentants des salariés : à ceux qui revendiquent, notamment dans le privé, on explique facilement que d’autres peuvent prendre leur place. Dans les nouveaux emplois payés à la tâche (livreurs, chauffeurs, etc.), la moindre contestation entraîne l’arrêt de toute commande. L’organisation en syndicats est très complexe. Enfin, il n’est pas facile pour les salariés de supporter le coût financier d’une grève dans un contexte de tensions sur les revenus. Perdre un mois de salaire n’est pas donné à tout le monde, notamment pour ceux qui n’ont pas d’épargne.
Est-ce à dire que les grèves sont vouées à disparaître ?
On n’en est pas là. Depuis une dizaine d’années, leur niveau est plutôt stable. Les réseaux sociaux rendent l’organisation de mouvements plus faciles. Le travail en flux tendu (on produit en permanence, les stocks sont très réduits) fait que l’employeur paie cher tout arrêt de travail : la grève a un impact plus fort. C’est particulièrement vrai dans une partie des nouveaux services où l’idée même de stock n’existe pas ou quasiment pas : une course Uber non réalisée ou un repas dans la restauration rapide non consommé sont rarement reportés, ils sont perdus.
Quand l’enjeu est fort pour les salariés, les mobilisations le sont aussi, comme on l’a vu en 2010 et 2019 au sujet des retraites.
La contestation peut d’ailleurs s’exprimer autrement que par la grève, par des pétitions, des campagnes d’information sur des réseaux sociaux plus accessibles que les grands médias, ainsi que par la manifestation, comme l’a montré le mouvement des "gilets jaunes". De nouvelles formes d’organisations émergent, plus éphémères pour l’instant, mais pas forcément moins puissantes pour faire entendre les revendications.
COMPAS - Analyse complète - 2019-12-19