La mission a d’abord défini le périmètre de son étude. Elle a retenu les corps relevant de "l’encadrement supérieur et dirigeant" des trois versants de la fonction publique, selon la Direction Générale de l’Administration et de la Fonction Publique, hors enseignants et militaires.
Trois principes préalables ont structuré sa réflexion :
- L’impératif d’excellence dans le recrutement,
- Le maintien du principe fondateur du recrutement par concours,
- La nécessité d’une solide formation initiale des candidats reçus, sans préjudice de leur formation continue.
Sur ces bases, la mission a d’abord dressé un constat, sévère mais qu’elle croit lucide, de la situation.
Ce constat avait déjà été formulé, en ce qui concerne l’ENA, il y a 50 ans par le rapport de la commission Bloch-Lainé, qui envisageait même la suppression de l’école. Rien, ou presque, n’a été fait depuis.
Les choses se sont aggravées et toutes les grandes écoles du service public sont concernées :
- une diversité très insuffisante, avec une sur-représentation des classes supérieures, une répartition par sexes profondément déséquilibrée et un quasi-monopole parisien pour la préparation aux différents concours ;
- une baisse d’attractivité inquiétante des carrières publiques, se traduisant par l’érosion du nombre des candidats aux concours, tant externes qu’internes, dans les filières administratives comme dans les filières techniques ;
- une multiplication des grandes écoles de service public depuis la création de l’ENA (INET, EHESP, ENM, ENSP, ENAP), qui nuit à l’émergence d’une culture commune chez les grands serviteurs de l’État et qui, ajoutée à l’émiettement des corps et au silotage des ministères, favorise un corporatisme funeste et nourrit l’ignorance, voire le mépris des uns pour les autres ;
- un climat préoccupant de perte de confiance entre les citoyens et leurs "élites", politiques ou administratives, qui fait que le doute s’installe sur l’action publique dans son ensemble.
L’OBJECTIF DE LA MISSION
L’objectif de la mission n’est pas de produire un énième rapport, mais de formuler des propositions aussi précises que possible, environ quarant, qui seront soumises à l’arbitrage du Gouvernement. Ces propositions sont déclinées sous trois rubriques :
Décloisonner la haute fonction publique
- Avant qu’ils ne rejoignent leur école d’application, les candidats reçus aux différents concours administratifs suivraient un "tronc commun" de six mois, dont l’essentiel se passerait sur le terrain ;
- L’ENA serait remplacée par une grande "école d’administration publique" (EAP), école d’application regroupant les administrateurs de l’État (ex-énarques) et les ingénieurs des corps techniques ; deux configurations différentes de l’EAP ont été étudiées par la mission ;
- Il n’y aurait pas de classement de sortie à l’EAP mais une procédure d’affectation par rapprochement des offres et des demandes, évitant les risques de cooptation ou de favoritisme ;
- La répartition des postes offerts en sortie d’école serait revue pour privilégier les ministères prioritaires ;
- Tous les administrateurs de l’État et les ingénieurs des corps civils seraient d’abord affectés, pour un an au moins, en administration déconcentrée ou sur une mission prioritaire, sauf cas particulier ;
- L’accès au doctorat pour les hauts fonctionnaires serait facilité, pour favoriser les parcours à l’international des hauts fonctionnaires français ;
- La "marque ENA" serait conservée à l’international. L’ENAi, filiale de l’EAP serait chargée notamment des actions de formation "à la carte" aux questions européennes, de la préparation des hauts fonctionnaires européens à la présidence tournante de l’UE, du CHEE et de la préparation aux concours de la fonction publique européenne ;
- Il serait mis fin au "système des grands corps" par la transformation des corps d’inspection (IGF, IGA, IGAS) en emplois fonctionnels d’une part et, pour les corps juridictionnels (Conseil d’État et Cour des comptes) d’autre part, par un recrutement différé après la sortie de l’école.
Diversifier le recrutement
- Les épreuves des différents concours étudiants seraient revues, pour les rendre moins académiques, moins discriminantes socialement et plus opérationnelles. Les profils diversifiés seraient mis en valeur par des épreuves à options. Des tests psychotechniques, non notés, seraient prévus au stade de l’admission.
- La composition des jurys serait revue et leur formation généralisée.
- Un concours unique serait organisé pour l’ensemble des écoles administratives, avec des épreuves spécifiques par école.
- Une vingtaine de nouvelles classes préparatoires "égalité des chances (CPE)", réparties sur le territoire à raison d’une classe au moins par région, outre-mer compris, seraient créées par appel à projets. Les élèves seraient sélectionnés sur des critères sociaux combinés au mérite académique et bénéficieraient d’un accompagnement social durant leur préparation aux concours.
- Un concours spécial, la voie "égalité des chances", ouvert aux élèves sortis des CPE, serait institué pour l’accès aux différentes écoles du service public, dans la limite de 10 à 15 % de l’effectif des promotions.
- Les actuels 2ème et 3ème concours, ainsi que le "tour extérieur", seraient remplacés par une nouvelle voie d’accès "professionnelle" unique, lisible, accessible au plus grand nombre. Le nombre de postes ouverts serait sensiblement égal à celui des concours étudiants. Les épreuves seraient allégées par rapport aux concours "étudiants" et les candidats reçus seraient directement admis en école d’application, sans passer par le "tronc commun".
- Pour progresser vers la parité dans les emplois supérieurs, le Gouvernement pourrait s’engager à nommer, sur une année, 50 % de femmes dans les emplois à la décision du Gouvernement.
Dynamiser les carrières
- Le référentiel de compétences des hauts fonctionnaires devrait être revu, faisant une plus large place à l’innovation, au dialogue, à la culture du résultat et à la mobilisation des collaborateurs.
- La DGAFP deviendrait une véritable "DRH groupe" pour l’encadrement supérieur, en étroite liaison avec les DRH ministérielles (30 ETP à prévoir pour l’ensemble).
- Le suivi RH des cadres territoriaux serait organisé sur le modèle de la fonction publique hospitalière (Centre de Gestion). Cette nouvelle fonction pourrait être confiée au CNFPT.
- Les cadres supérieurs seraient davantage évalués, formés et reconnus pour leurs performances.
- Un Institut des Hautes Etudes du Service Public serait créé, afin de dispenser, en milieu de carrière, une formation commune à temps partiel sur une année à des hauts fonctionnaires des trois fonctions publiques, tous corps confondus, ainsi qu’aux magistrats qui le souhaitent, aux officiers de la gendarmerie ou des armées et aux administrateurs des assemblées. Les lauréats de l’Institut auraient vocation à accéder aux emplois supérieurs des trois versants de la fonction publique
- Tous les postes vacants de cadres dirigeants de l’État seraient obligatoirement publiés, afin d’ouvrir plus largement l’éventail des possibles.
- Les mobilités seraient favorisées et davantage valorisées, notamment en encourageant et en sécurisant les passages du secteur public au secteur privé. Calendrier : pour que la réforme puisse s’appliquer aux recrutements de 2022 (concours de 2021), il est indispensable que les textes législatifs et réglementaires soient pris au plus tard le 1er septembre 2020
Gouvernement - Rapport complet - 2020-02-18
Réforme de l’ENA : "Le pantouflage n’est absolument pas abordé"
Public Sénat - Article complet - 2020-02-18
Trois principes préalables ont structuré sa réflexion :
- L’impératif d’excellence dans le recrutement,
- Le maintien du principe fondateur du recrutement par concours,
- La nécessité d’une solide formation initiale des candidats reçus, sans préjudice de leur formation continue.
Sur ces bases, la mission a d’abord dressé un constat, sévère mais qu’elle croit lucide, de la situation.
Ce constat avait déjà été formulé, en ce qui concerne l’ENA, il y a 50 ans par le rapport de la commission Bloch-Lainé, qui envisageait même la suppression de l’école. Rien, ou presque, n’a été fait depuis.
Les choses se sont aggravées et toutes les grandes écoles du service public sont concernées :
- une diversité très insuffisante, avec une sur-représentation des classes supérieures, une répartition par sexes profondément déséquilibrée et un quasi-monopole parisien pour la préparation aux différents concours ;
- une baisse d’attractivité inquiétante des carrières publiques, se traduisant par l’érosion du nombre des candidats aux concours, tant externes qu’internes, dans les filières administratives comme dans les filières techniques ;
- une multiplication des grandes écoles de service public depuis la création de l’ENA (INET, EHESP, ENM, ENSP, ENAP), qui nuit à l’émergence d’une culture commune chez les grands serviteurs de l’État et qui, ajoutée à l’émiettement des corps et au silotage des ministères, favorise un corporatisme funeste et nourrit l’ignorance, voire le mépris des uns pour les autres ;
- un climat préoccupant de perte de confiance entre les citoyens et leurs "élites", politiques ou administratives, qui fait que le doute s’installe sur l’action publique dans son ensemble.
L’OBJECTIF DE LA MISSION
L’objectif de la mission n’est pas de produire un énième rapport, mais de formuler des propositions aussi précises que possible, environ quarant, qui seront soumises à l’arbitrage du Gouvernement. Ces propositions sont déclinées sous trois rubriques :
Décloisonner la haute fonction publique
- Avant qu’ils ne rejoignent leur école d’application, les candidats reçus aux différents concours administratifs suivraient un "tronc commun" de six mois, dont l’essentiel se passerait sur le terrain ;
- L’ENA serait remplacée par une grande "école d’administration publique" (EAP), école d’application regroupant les administrateurs de l’État (ex-énarques) et les ingénieurs des corps techniques ; deux configurations différentes de l’EAP ont été étudiées par la mission ;
- Il n’y aurait pas de classement de sortie à l’EAP mais une procédure d’affectation par rapprochement des offres et des demandes, évitant les risques de cooptation ou de favoritisme ;
- La répartition des postes offerts en sortie d’école serait revue pour privilégier les ministères prioritaires ;
- Tous les administrateurs de l’État et les ingénieurs des corps civils seraient d’abord affectés, pour un an au moins, en administration déconcentrée ou sur une mission prioritaire, sauf cas particulier ;
- L’accès au doctorat pour les hauts fonctionnaires serait facilité, pour favoriser les parcours à l’international des hauts fonctionnaires français ;
- La "marque ENA" serait conservée à l’international. L’ENAi, filiale de l’EAP serait chargée notamment des actions de formation "à la carte" aux questions européennes, de la préparation des hauts fonctionnaires européens à la présidence tournante de l’UE, du CHEE et de la préparation aux concours de la fonction publique européenne ;
- Il serait mis fin au "système des grands corps" par la transformation des corps d’inspection (IGF, IGA, IGAS) en emplois fonctionnels d’une part et, pour les corps juridictionnels (Conseil d’État et Cour des comptes) d’autre part, par un recrutement différé après la sortie de l’école.
Diversifier le recrutement
- Les épreuves des différents concours étudiants seraient revues, pour les rendre moins académiques, moins discriminantes socialement et plus opérationnelles. Les profils diversifiés seraient mis en valeur par des épreuves à options. Des tests psychotechniques, non notés, seraient prévus au stade de l’admission.
- La composition des jurys serait revue et leur formation généralisée.
- Un concours unique serait organisé pour l’ensemble des écoles administratives, avec des épreuves spécifiques par école.
- Une vingtaine de nouvelles classes préparatoires "égalité des chances (CPE)", réparties sur le territoire à raison d’une classe au moins par région, outre-mer compris, seraient créées par appel à projets. Les élèves seraient sélectionnés sur des critères sociaux combinés au mérite académique et bénéficieraient d’un accompagnement social durant leur préparation aux concours.
- Un concours spécial, la voie "égalité des chances", ouvert aux élèves sortis des CPE, serait institué pour l’accès aux différentes écoles du service public, dans la limite de 10 à 15 % de l’effectif des promotions.
- Les actuels 2ème et 3ème concours, ainsi que le "tour extérieur", seraient remplacés par une nouvelle voie d’accès "professionnelle" unique, lisible, accessible au plus grand nombre. Le nombre de postes ouverts serait sensiblement égal à celui des concours étudiants. Les épreuves seraient allégées par rapport aux concours "étudiants" et les candidats reçus seraient directement admis en école d’application, sans passer par le "tronc commun".
- Pour progresser vers la parité dans les emplois supérieurs, le Gouvernement pourrait s’engager à nommer, sur une année, 50 % de femmes dans les emplois à la décision du Gouvernement.
Dynamiser les carrières
- Le référentiel de compétences des hauts fonctionnaires devrait être revu, faisant une plus large place à l’innovation, au dialogue, à la culture du résultat et à la mobilisation des collaborateurs.
- La DGAFP deviendrait une véritable "DRH groupe" pour l’encadrement supérieur, en étroite liaison avec les DRH ministérielles (30 ETP à prévoir pour l’ensemble).
- Le suivi RH des cadres territoriaux serait organisé sur le modèle de la fonction publique hospitalière (Centre de Gestion). Cette nouvelle fonction pourrait être confiée au CNFPT.
- Les cadres supérieurs seraient davantage évalués, formés et reconnus pour leurs performances.
- Un Institut des Hautes Etudes du Service Public serait créé, afin de dispenser, en milieu de carrière, une formation commune à temps partiel sur une année à des hauts fonctionnaires des trois fonctions publiques, tous corps confondus, ainsi qu’aux magistrats qui le souhaitent, aux officiers de la gendarmerie ou des armées et aux administrateurs des assemblées. Les lauréats de l’Institut auraient vocation à accéder aux emplois supérieurs des trois versants de la fonction publique
- Tous les postes vacants de cadres dirigeants de l’État seraient obligatoirement publiés, afin d’ouvrir plus largement l’éventail des possibles.
- Les mobilités seraient favorisées et davantage valorisées, notamment en encourageant et en sécurisant les passages du secteur public au secteur privé. Calendrier : pour que la réforme puisse s’appliquer aux recrutements de 2022 (concours de 2021), il est indispensable que les textes législatifs et réglementaires soient pris au plus tard le 1er septembre 2020
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